image
Anticoagulants et AINS : une combinaison médicamenteuse dangereuse à éviter
  • Par Fabien Leroux
  • 28/12/25
  • 0

Prendre un anticoagulant et un AINS en même temps n’est pas une simple erreur de dosage. C’est un risque réel, mesuré, et souvent mortel. Des centaines de milliers de personnes dans le monde font cette combinaison chaque jour, pensant que l’ibuprofen ou le diclofenac est « juste » un analgésique inoffensif. Ce n’est pas le cas. Quand ces deux types de médicaments se croisent dans votre organisme, ils transforment votre sang en une substance qui saigne plus facilement - et pas seulement dans l’estomac.

Le risque n’est pas théorique, il est quantifié

Une étude danoise publiée en novembre 2024 dans l’European Heart Journal a suivi plus de 51 000 patients sous anticoagulants pendant 11 ans. Résultat : ceux qui prenaient aussi un AINS avaient plus de deux fois plus de risques d’être hospitalisés pour un saignement grave. Ce n’est pas une estimation vague. C’est une donnée concrète, avec des chiffres précis.

  • Naproxen : 4,1 fois plus de risques de saignement
  • Diclofenac : 3,3 fois plus de risques
  • Ibuprofen : 1,79 fois plus de risques
Ces chiffres ne parlent pas seulement d’ulcères ou de saignements intestinaux. Ils incluent aussi les saignements au cerveau, dans les poumons, dans les voies urinaires, et même ceux qui provoquent une anémie sévère. Un patient sur cinq sous anticoagulant qui prend un AINS développe une anémie liée à un saignement caché. Et ce, même s’il ne ressent rien.

Pourquoi cette combinaison est-elle si dangereuse ?

Les anticoagulants - qu’il s’agisse de warfarin, d’apixaban, de rivaroxaban ou de dabigatran - ralentissent la capacité de votre sang à former des caillots. Ils empêchent certains facteurs de coagulation de fonctionner. C’est leur but : prévenir les caillots qui pourraient causer une embolie ou un AVC.

Les AINS, eux, agissent différemment. Ils bloquent une enzyme appelée COX-1, qui protège la muqueuse gastrique et aide les plaquettes à s’agglutiner pour arrêter les saignements. Sans COX-1, vos plaquettes ne fonctionnent plus bien. Votre estomac devient plus fragile. Et votre sang, déjà plus liquide à cause de l’anticoagulant, ne peut plus se coaguler efficacement.

C’est comme si vous aviez deux robinets ouverts : un qui laisse couler votre sang plus vite, et un autre qui ferme les bouchons qui devraient le retenir. Résultat : une fuite inarrêtable.

Les nouveaux anticoagulants sont-ils plus sûrs ?

Beaucoup pensent que les anticoagulants modernes - les DOACs - sont plus sûrs que le warfarin. C’est vrai dans certains cas. Mais pas quand on les associe à un AINS. L’étude danoise a montré clairement que le risque de saignement est identique qu’on prenne du warfarin ou du rivaroxaban. Les nouveaux médicaments ne protègent pas contre les effets des AINS.

Et ce n’est pas seulement vrai pour les médicaments sur ordonnance. Même les AINS achetés sans ordonnance - comme l’ibuprofen en pharmacie - augmentent le risque. Beaucoup de patients ne disent pas à leur médecin qu’ils prennent de l’ibuprofen pour leurs douleurs de dos ou leurs maux de tête. Ils ne les considèrent pas comme des « vrais médicaments ». Pourtant, ils sont aussi dangereux que les autres.

Patient transluce dont les organes saignent en formant des visages hurlants, entouré de bouteilles d’AINS.

Quels AINS sont les plus dangereux ?

Tous les AINS sont à éviter, mais certains sont pires que d’autres.

  • Naproxen est le plus dangereux : il bloque fortement la COX-1, ce qui affaiblit les plaquettes et irrite l’estomac. Son risque est plus de quatre fois supérieur à celui d’un anticoagulant seul.
  • Diclofenac est presque aussi mauvais. Il est souvent prescrit pour l’arthrite, ce qui rend la combinaison encore plus fréquente chez les personnes âgées.
  • Ibuprofen est le moins dangereux des trois, mais il reste très risqué. Même à faible dose, il augmente le risque de saignement de 80 %.
Les AINS sélectifs, comme le celecoxib, n’offrent pas de sécurité non plus. Une étude de l’Agency for Healthcare Research and Quality a montré qu’ils ne réduisent pas le risque de saignement gastrique comparé aux AINS traditionnels. Leur effet sur les plaquettes est plus faible, mais pas nul. Et ils ne protègent pas contre les saignements cérébraux ou pulmonaires.

Que faire pour gérer la douleur sans risque ?

Si vous prenez un anticoagulant, votre premier choix pour la douleur doit être l’acétaminophène (Tylenol). Il n’affecte pas les plaquettes. Il ne perturbe pas la coagulation. Il est sûr, même à long terme, si vous respectez la dose maximale (3 000 à 4 000 mg par jour selon les lignes directrices).

Mais ce n’est pas tout. Voici d’autres alternatives réelles :

  • Des compresses chaudes ou froides pour les douleurs articulaires
  • La physiothérapie pour les douleurs chroniques de dos ou de genou
  • Les exercices doux comme la natation ou le yoga
  • Les thérapies complémentaires comme l’acupuncture, quand elles sont pratiquées par des professionnels
Si vous avez une inflammation aiguë - comme une crise de goutte - et qu’aucune autre option ne fonctionne, alors un AINS peut être utilisé, mais seulement :

  • Pour une courte durée (2 à 3 jours maximum)
  • À la dose la plus faible possible
  • En évitant les formes prolongées ou les comprimés à libération lente
Même dans ce cas, un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) comme l’oméprazole peut être prescrit pour protéger l’estomac. Mais attention : cela réduit seulement le risque de saignement gastrique. Il ne protège pas contre les saignements au cerveau ou dans les poumons.

Comment éviter ce piège dans la vie quotidienne ?

La plupart des saignements graves ne viennent pas des médicaments prescrits. Ils viennent des comprimés que vous prenez sans en parler.

Voici ce que vous devez faire :

  1. À chaque consultation médicale, dites clairement : « Je prends de l’ibuprofen ou du diclofenac de temps en temps. » Même si vous ne le prenez qu’une fois par semaine.
  2. Ne confondez pas les « médicaments » avec les « produits en vente libre ». L’ibuprofen est un médicament. Il a des effets secondaires. Il interagit.
  3. Regardez les étiquettes des médicaments contre la grippe, les rhumes ou les maux de tête. Beaucoup contiennent de l’ibuprofen ou du naproxen sans que cela soit évident.
  4. Si votre médecin vous prescrit un nouvel AINS, demandez : « Est-ce sûr avec mon anticoagulant ? »
  5. Ne commencez jamais un AINS sans consulter votre médecin ou votre pharmacien, même si vous l’avez déjà pris avant.
Pharmacien remettant une pilule qui se transforme en ver de sang, mur couvert de notes qui coulent.

Le système de santé doit faire sa part

Ce n’est pas seulement une question de comportement individuel. Les hôpitaux et les pharmacies doivent aussi agir.

Des systèmes informatiques peuvent être configurés pour alerter automatiquement les pharmaciens quand un patient sous anticoagulant demande un AINS. Des alertes peuvent apparaître dans les dossiers médicaux électroniques. Des programmes de « stewardship » - gestion responsable des anticoagulants - peuvent aider à identifier les patients à risque et à les orienter vers des alternatives.

Mais tout cela ne marche que si les patients parlent. Si vous ne dites pas que vous prenez de l’ibuprofen, personne ne peut vous aider.

Les chiffres qui parlent

Aux États-Unis, environ 3 à 6 millions de personnes prennent des anticoagulants. Près de 30 milliards de comprimés d’ibuprofen sont vendus chaque année en vente libre. Cela signifie que des millions de personnes prennent ces deux types de médicaments en même temps.

C’est une crise de santé publique invisible. Elle ne fait pas la une des journaux. Mais elle remplit les services d’urgence. Elle fait des victimes silencieuses - souvent des personnes âgées, avec des douleurs chroniques, qui veulent juste se sentir mieux.

En résumé : ce que vous devez retenir

  • Ne prenez jamais d’AINS (ibuprofen, naproxen, diclofenac) si vous êtes sous anticoagulant, sauf si votre médecin l’a expressément autorisé.
  • Acétaminophène (Tylenol) est votre meilleur choix pour la douleur.
  • Les nouveaux anticoagulants ne protègent pas contre les AINS.
  • Le risque de saignement n’est pas seulement gastrique : il touche le cerveau, les poumons, les reins.
  • Même une prise ponctuelle peut être dangereuse.
  • Parlez toujours à votre médecin ou pharmacien avant de prendre un nouvel analgésique.

La douleur est réelle. Mais le risque de saignement mortel ne l’est pas moins. Il n’y a pas de compromis possible. La sécurité passe avant la commodité.

Anticoagulants et AINS : une combinaison médicamenteuse dangereuse à éviter
Fabien Leroux

Auteur

Je travaille depuis plus de quinze ans dans le domaine pharmaceutique, où j’explore constamment les évolutions des traitements et des suppléments. J’aime vulgariser les connaissances scientifiques et partager des conseils utiles pour optimiser sa santé. Mon objectif est d’aider chacun à mieux comprendre les médicaments et leurs effets.