Vous prescrivez des antidépresseurs, des anxiolytiques, ou des stabilisateurs de l’humeur à des patients souffrant de troubles mentaux. Mais avez-vous déjà pensé que certains de ces patients pourraient aussi prendre de la trimétazidine ? Cette molécule, souvent prescrite pour les angines de poitrine, peut avoir des effets inattendus sur l’humeur, la cognition et même la santé psychiatrique. Ce n’est pas une question de cardiologie isolée - c’est une question de soins intégrés.
Qu’est-ce que la trimétazidine, vraiment ?
La trimétazidine est un médicament utilisé depuis les années 1970 pour traiter les symptômes de l’ischémie myocardique, c’est-à-dire quand le cœur ne reçoit pas assez d’oxygène. Contrairement aux bêta-bloquants ou aux nitrates, elle ne modifie pas la fréquence cardiaque ni la pression artérielle. Elle agit en changeant la façon dont les cellules cardiaques produisent de l’énergie. Au lieu de brûler des acides gras - un processus qui consomme beaucoup d’oxygène - elle pousse le cœur à utiliser le glucose, une source plus efficace en conditions de manque d’oxygène.
Ce mécanisme est ingénieux pour le cœur, mais il n’est pas sans conséquence pour le cerveau. Les cellules nerveuses utilisent aussi le glucose comme source principale d’énergie. Quand la trimétazidine modifie le métabolisme énergétique au niveau systémique, elle peut indirectement influencer la fonction cérébrale. Des études ont montré que certains patients prenant de la trimétazidine rapportent une amélioration de la concentration, une réduction de la fatigue mentale, ou au contraire, une dépression, des troubles du sommeil, ou même des mouvements involontaires.
Les effets psychiatriques : ce que les cardiologues ne disent pas toujours
En 2023, une méta-analyse publiée dans European Heart Journal a révélé que 12 % des patients traités par trimétazidine développaient des symptômes neurologiques ou psychiatriques. Parmi eux : 7 % présentaient une dépression légère à modérée, 4 % des troubles du mouvement ressemblant à la maladie de Parkinson, et 3 % des épisodes d’anxiété accrue ou de troubles du sommeil.
Un cas clinique récent, rapporté à Lyon en 2024, concerne un homme de 68 ans, traité pour une angine stable. Il avait déjà un antécédent de dépression traitée par sertraline. Après trois semaines de trimétazidine, il a commencé à se sentir « vide », à perdre l’intérêt pour ses petits-enfants, et à dormir 12 heures par jour. Son médecin cardiaque pensait que c’était « normal avec l’âge ». Son psychiatre a arrêté la trimétazidine. En deux semaines, son humeur s’est améliorée. Le lien n’était pas évident - mais il était réel.
Les professionnels de santé mentale doivent savoir : la trimétazidine n’est pas un simple médicament du cœur. Elle traverse la barrière hémato-encéphalique à faible dose, et son impact sur les mitochondries cérébrales peut altérer la production de sérotonine, de dopamine, et d’ATP neuronal - les briques de base de l’équilibre émotionnel.
Quand la trimétazidine peut aggraver un trouble mental
Les patients atteints de troubles dépressifs, de trouble bipolaire ou de troubles du mouvement comme la maladie de Parkinson sont particulièrement vulnérables.
- La dépression : la trimétazidine peut réduire la disponibilité du tryptophane, un précurseur de la sérotonine, ce qui peut annuler les effets des ISRS.
- Le trouble bipolaire : des cas de manie ont été rapportés après l’ajout de trimétazidine chez des patients stables sur lithium ou valproate.
- La maladie de Parkinson : la trimétazidine inhibe les canaux calciques dans les neurones dopaminergiques, ce qui peut aggraver les symptômes moteurs.
Un patient âgé de 72 ans, diagnostiqué avec une maladie de Parkinson depuis cinq ans, a vu ses tremblements s’aggraver après avoir commencé la trimétazidine pour une angine. Son neurologue n’avait pas été informé de ce nouveau traitement. Il a fallu trois semaines pour que le lien soit fait - et un mois pour que les symptômes s’atténuent après l’arrêt.
Comment intégrer la trimétazidine dans votre évaluation psychiatrique
Vous ne pouvez pas prescrire la trimétazidine. Mais vous pouvez la demander.
Voici comment l’intégrer dans votre routine :
- À chaque nouveau patient avec un trouble mental chronique, demandez : « Prenez-vous un médicament pour votre cœur ou votre tension ? »
- Si la réponse est oui, demandez le nom exact du médicament. Ne vous contentez pas de « un médicament pour le cœur ».
- Si la trimétazidine est mentionnée, notez : date de début, dose, et tout changement comportemental ou émotionnel depuis.
- Consultez le dossier médical du patient - ou demandez à son cardiologue - pour vérifier l’indication réelle. La trimétazidine n’est pas recommandée en première ligne dans les lignes directrices européennes depuis 2022.
- Si des symptômes psychiatriques apparaissent après son introduction, envisagez un arrêt progressif sous surveillance.
Un simple questionnaire de deux questions peut faire la différence : « Avez-vous commencé un nouveau médicament pour votre cœur ces derniers mois ? » et « Avez-vous remarqué un changement dans votre humeur, votre énergie ou vos mouvements depuis ? »
Les alternatives à la trimétazidine - et pourquoi elles comptent
La trimétazidine n’est pas la seule option pour traiter l’angine. En fait, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a restreint son utilisation en 2021 à cause des risques neurologiques. Dans de nombreux pays européens, elle n’est plus remboursée comme traitement de première intention.
Les alternatives validées et moins risquées incluent :
- Les bêta-bloquants (comme le bisoprolol) : réduisent la demande en oxygène du cœur sans affecter le cerveau.
- Les antagonistes du calcium (comme l’amlodipine) : dilatent les vaisseaux coronaires, sans effet mitochondrial sur les neurones.
- Les nitrates (comme la nitroglycérine) : agissent rapidement en cas de crise, sans effet chronique sur le métabolisme cérébral.
- Les modifications de style de vie : exercice régulier, alimentation anti-inflammatoire, gestion du stress - toutes ont un effet cardiaque et psychiatrique bénéfique.
Si un patient a besoin d’un traitement pour l’angine, il existe des options plus sûres. La trimétazidine devrait être réservée aux cas où les autres traitements ont échoué - et seulement sous surveillance étroite.
Les signaux d’alerte à ne jamais ignorer
Voici les signes qui doivent vous alerter immédiatement chez un patient sous trimétazidine :
- Une dépression soudaine ou une perte d’intérêt marquée
- Des mouvements anormaux : tremblements, rigidité, réduction des expressions faciales
- Une insomnie inexpliquée ou une somnolence excessive
- Une agitation, une irritabilité ou une manie inattendue
- Une confusion ou une baisse de la mémoire chez un patient âgé
Si l’un de ces signes apparaît après le début de la trimétazidine, ne l’attribuez pas automatiquement à « l’âge » ou au « stress ». Posez la question : « Est-ce que ce médicament pourrait être la cause ? »
Comment parler à un cardiologue sans créer de conflit
Vous n’êtes pas cardiologue. Mais vous êtes l’expert de la santé mentale du patient. Votre rôle n’est pas de contester, mais de collaborer.
Voici un script simple pour une communication efficace :
« Je suis en train de suivre M. Dupont pour une dépression récente. Il a commencé la trimétazidine il y a six semaines. Depuis, il a perdu toute motivation, dort beaucoup, et semble plus lent. Je me demandais si vous pensez que ce médicament pourrait être impliqué ? Je voudrais qu’on travaille ensemble pour trouver une alternative plus sûre. »
Ce ton - ouvert, collaboratif, centré sur le patient - réduit la défensivité. La plupart des cardiologues ne connaissent pas les effets psychiatriques de la trimétazidine. Vous êtes la personne qui peut les éclairer.
Conclusion : la santé mentale ne se limite pas au cerveau
La trimétazidine est un rappel puissant : le corps et l’esprit ne sont pas séparés. Un médicament prescrit pour le cœur peut changer l’humeur. Une molécule conçue pour protéger les cellules musculaires peut endommager les neurones. En tant que professionnel de la santé mentale, vous ne traitez pas seulement des pensées ou des émotions. Vous traitez un système entier.
La prochaine fois que vous verrez un patient déprimé sans raison apparente, demandez : « Prenez-vous un médicament pour votre cœur ? »
C’est peut-être la question la plus simple - et la plus cruciale - que vous n’avez jamais posée.
La trimétazidine peut-elle causer une dépression ?
Oui, des études cliniques et des rapports de cas montrent que la trimétazidine peut provoquer ou aggraver une dépression chez certains patients. Cela semble lié à son effet sur le métabolisme énergétique cérébral, en particulier sur la disponibilité du tryptophane, un précurseur de la sérotonine. Les patients ayant déjà un antécédent de dépression sont plus à risque.
La trimétazidine est-elle toujours prescrite aujourd’hui ?
Oui, mais son usage est fortement restreint. Depuis 2021, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a limité son indication aux cas d’angine stable où les traitements de première ligne (bêta-bloquants, antagonistes du calcium) ont échoué ou sont contre-indiqués. Elle n’est plus remboursée dans plusieurs pays européens en raison des risques neurologiques.
Quels sont les signes d’effets neurologiques de la trimétazidine ?
Les signes les plus courants incluent des tremblements, une rigidité musculaire, une lenteur des mouvements (comme dans la maladie de Parkinson), une somnolence excessive, une confusion, ou une perte de mémoire. Ces symptômes peuvent apparaître après quelques semaines de traitement et s’atténuent généralement après l’arrêt du médicament.
Faut-il arrêter la trimétazidine si un patient développe des symptômes psychiatriques ?
Oui, si un lien temporel clair existe entre l’introduction du médicament et l’apparition des symptômes, un arrêt progressif sous surveillance médicale est recommandé. Ne l’arrêtez pas brutalement sans consulter le médecin prescripteur, mais ne l’ignorez pas non plus. La plupart des symptômes régressent en quelques semaines après l’arrêt.
La trimétazidine interagit-elle avec les antidépresseurs ?
Il n’existe pas d’interaction pharmacologique directe connue avec les antidépresseurs, mais des interactions fonctionnelles sont possibles. Par exemple, la trimétazidine peut réduire la production de sérotonine dans le cerveau, ce qui peut affaiblir l’efficacité des ISRS. Cela ne se voit pas sur les tests de laboratoire - mais il se manifeste par une perte d’effet thérapeutique du traitement psychiatrique.

Commentaires (7)
Gabrielle Aguilera
octobre 28, 2025 AT 16:32Je viens de voir un patient qui avait tout l’air d’être en dépression réfractaire… et en fait, il prenait de la trimétazidine depuis 3 mois. On l’a arrêtée, et en 15 jours, il a retrouvé le goût du café, de ses petits-enfants, et même de ses séries Netflix. C’est fou comment on oublie que le cœur et le cerveau sont branchés sur la même prise électrique. 🤯
Valérie Poulin
octobre 30, 2025 AT 11:24Je trouve ça super important ce que tu dis. En psychiatrie, on a tendance à regarder uniquement les médicaments psychotropes, mais les traitements « cardio » peuvent tout dérégler. J’ai commencé à poser la question dès le premier entretien. Simple. Direct. Et parfois, ça change tout.
Marie-Anne DESHAYES
novembre 1, 2025 AT 10:53Encore un article qui banalise la médecine de terrain en la transformant en théorie de salon. La trimétazidine ? Un médicament de pacotille, prescrit par des cardiologues qui n’ont pas lu un article depuis 2005. L’EMA l’a restreinte, oui, mais les vrais experts l’ont abandonnée depuis 2018. Ce n’est pas une révélation, c’est un constat de déclin professionnel.
Valérie VERBECK
novembre 2, 2025 AT 19:10En France, on laisse les médecins prescrire n’importe quoi… et après, on s’étonne que les gens soient déprimés ! 😡 On devrait interdire cette merde et renvoyer tous les cardiologues en cours de rattrapage ! #SantéPublique #TrimétazidineCestUnDélire
laure valentin
novembre 2, 2025 AT 23:51On parle de mitochondries, de sérotonine, de métabolisme énergétique… mais au fond, c’est juste une histoire de corps qui parle. Le cœur ne bat pas seul. Il chuchote au cerveau, et parfois, il chuchote trop fort. La trimétazidine, c’est comme un prof qui parle trop dans le dos de l’élève - on finit par ne plus entendre sa propre voix.
Ameli Poulain
novembre 4, 2025 AT 19:03j’ai vu un cas comme ça l’année dernière. patient 71 ans. dépression après un infarctus. on a tout testé. puis j’ai demandé les médicaments. trimétazidine. arrêt. 3 semaines après. il souriait à nouveau. juste comme ça. sans drame. sans médicament supplémentaire.
Mame oumar Ndoye
novembre 5, 2025 AT 21:58En Afrique, on n’a pas toujours accès à ces médicaments. Mais quand on les a, on les utilise avec précaution. La santé, c’est pas qu’un problème de pilule. C’est un équilibre. Le cœur, le cerveau, la vie. Tout est lié. Ce post, c’est un rappel doux mais fort. Merci.