Le syndrome de Stevens-Johnson et la nécrolyse épidermique toxique sont deux réactions cutanées extrêmement rares, mais potentiellement mortelles, déclenchées presque toujours par un médicament. Bien qu’elles soient souvent traitées comme des maladies distinctes, elles font en réalité partie d’un même spectre de gravité croissante. La différence entre les deux réside simplement dans l’étendue de la détérioration de la peau : moins de 10 % de la surface corporelle pour le syndrome de Stevens-Johnson, plus de 30 % pour la nécrolyse épidermique toxique. Entre les deux, il existe une forme de chevauchement, avec 10 à 30 % de peau détachée. Ces réactions ne sont pas des éruptions bénignes. Elles détruisent la barrière cutanée comme un coup de feu, laissant des plaies ouvertes aussi graves que des brûlures profondes.
Comment ça commence ? Les premiers signes qu’on ignore souvent
Avant que la peau ne commence à se détacher, le corps envoie des signaux d’alerte. Ce sont souvent des symptômes que l’on confond avec une grippe : fièvre à plus de 39 °C, maux de tête, toux, gorge irritée, fatigue intense. Ces signes apparaissent entre 1 et 3 semaines après la prise d’un nouveau médicament - ou parfois en seulement 48 heures si vous avez déjà été exposé à ce même produit auparavant. Les yeux deviennent rouges, douloureux, comme s’ils brûlaient. Ce n’est pas une simple conjonctivite. C’est le début d’une tempête interne.
Ensuite, la peau change. Des taches rouges ou violettes, plates et douloureuses, apparaissent sur le torse, puis se propagent vers les bras, les jambes et le visage. Elles ne sont pas comme les boutons ou les urticaire. Elles ressemblent à des cibles, mais souvent sans le cercle central. En quelques heures, elles se transforment en cloques flasques, qui fusionnent pour former de grandes zones de peau qui se détachent au moindre contact. Le signe de Nikolsky est là : si vous appuyez doucement sur la peau saine à côté de la lésion, elle se détache comme du papier mouillé. C’est un signal d’urgence absolue.
La peau ne fait pas tout : les muqueuses sont les premières victimes
La vraie horreur de cette maladie, c’est qu’elle ne touche pas seulement la peau. Les muqueuses - ces tissus humides qui tapissent le corps - sont les premières à être attaquées. Près de 90 % des patients ont des lésions dans la bouche : des plaies douloureuses qui rendent la déglutition impossible, la parole difficile, la nourriture une torture. Les yeux sont touchés dans 80 % des cas. Les paupières enflent, les globes oculaires deviennent rouges, des membranes se forment entre la paupière et l’œil. Sans soins immédiats, cela peut mener à des cicatrices permanentes, une sécheresse oculaire chronique, voire une perte de vision.
Les organes génitaux ne sont pas épargnés : 60 % des patients développent des lésions sur le pénis, le vagin ou l’anus. La douleur est insoutenable. Dans certains cas, les voies respiratoires sont impliquées, ce qui peut provoquer une détresse respiratoire. C’est pourquoi ces patients sont souvent hospitalisés en réanimation, comme s’ils venaient d’un grave accident. La peau n’est qu’une partie du problème. La maladie attaque le corps de l’intérieur.
Qu’est-ce qui déclenche tout ça ? Les médicaments coupables
Plus de 80 % des cas sont causés par un médicament. Et certains sont particulièrement dangereux. Les anticonvulsivants comme la carbamazépine, la phénytoïne ou la lamotrigine sont responsables d’environ 30 % des cas. Les sulfamides, comme le triméthoprime-sulfaméthoxazole, représentent 20 %. L’allopurinol, utilisé pour traiter la goutte, est impliqué dans 15 % des cas. Même les anti-inflammatoires classiques comme l’ibuprofène ou le diclofénac peuvent, dans de rares cas, déclencher la réaction.
Mais ce n’est pas seulement le médicament. C’est aussi votre génétique. Des variants spécifiques du gène HLA rendent certaines personnes extrêmement vulnérables. Par exemple, la présence de l’allele HLA-B*15:02 augmente le risque de réaction à la carbamazépine jusqu’à 1 000 fois chez les populations d’Asie du Sud-Est. En Chine, à Taïwan, ou en Thaïlande, les médecins doivent désormais faire un test génétique avant de prescrire ce médicament. En France, ce n’est pas encore obligatoire, mais cela devient de plus en plus courant dans les hôpitaux spécialisés.
Le HLA-B*58:01 est un autre marqueur critique pour l’allopurinol. Depuis 2022, une nouvelle version du test génétique peut donner un résultat en seulement 4 heures, contre deux semaines auparavant. C’est une avancée majeure pour la prévention.
Comment les médecins diagnostiquent cette maladie ?
Il n’y a pas d’analyse de sang qui confirme le syndrome de Stevens-Johnson ou la nécrolyse toxique. Le diagnostic repose sur l’observation clinique et un biopsie de peau. Un dermatologue prélève un petit morceau de peau affectée. Au microscope, on voit une destruction totale de l’épiderme, avec presque aucune inflammation dans la couche en dessous - un signe caractéristique qui distingue cette maladie des autres éruptions cutanées.
On élimine aussi d’autres causes : le syndrome de peau brûlée par les staphylocoques (qui touche surtout les enfants), le pemphigus paraneoplastique, ou une pustulose généralisée aiguë. Le diagnostic est souvent retardé, parce que les premiers symptômes ressemblent à une infection bénigne. Mais chaque heure compte. Plus on attend, plus la peau se détache, plus le risque de septicémie ou d’insuffisance multi-organes augmente.
Que fait-on en urgence ? Le traitement en réanimation
Le premier geste est simple, mais vital : arrêter immédiatement tous les médicaments non essentiels. Même ceux qui semblent inoffensifs. Le deuxième, c’est l’hospitalisation - en unité de soins intensifs ou en unité de brûlés. Ces patients perdent autant de liquide que des victimes de brûlures à 30 % du corps. Ils ont besoin de 3 à 4 fois plus de fluides que la normale. Sans cela, les reins échouent, la pression s’effondre, la mort s’installe.
Les plaies doivent être traitées comme des brûlures : avec des pansements non adhérents, des soins antiseptiques doux, une température ambiante contrôlée. Les yeux sont lavés plusieurs fois par jour, avec des gouttes artificielles et parfois des interventions chirurgicales pour éviter que les paupières ne collent à l’œil.
Le traitement médical est controversé. L’immunoglobuline intraveineuse (IVIG) a longtemps été utilisée, mais les études récentes montrent qu’elle ne réduit pas la mortalité. Les corticoïdes peuvent aider au début, mais augmentent le risque d’infections. Le cyclosporine, en revanche, a montré une baisse de la mortalité de 33 % à 12,5 % dans un essai clinique. Une nouvelle approche, l’etanercept - un médicament qui bloque une protéine inflammatoire appelée TNF-alpha - a donné des résultats impressionnants : 0 % de décès chez 12 patients traités dans les 48 heures, contre 31 % dans les cas non traités.
Après la crise : les séquelles qui durent toute la vie
Survivre à une nécrolyse épidermique toxique ne signifie pas retrouver une vie normale. Près de 60 à 80 % des survivants développent des complications chroniques. Les yeux sont les plus touchés : 50 à 80 % ont une sécheresse oculaire persistante, 25 % des cicatrices cornéennes, et 5 % perdent partiellement ou totalement la vue. La peau elle-même change : 70 % des patients ont des taches pigmentaires, claires ou foncées, qui ne disparaissent jamais. Les ongles deviennent déformés, les cheveux peuvent tomber en grandes mèches.
Les organes génitaux peuvent se cicatriser avec des adhérences : chez les femmes, le vagin peut se rétrécir ; chez les hommes, l’urètre peut se boucher. Des interventions chirurgicales sont parfois nécessaires des années plus tard. Et puis, il y a le poids psychologique. 40 % des survivants développent un trouble de stress post-traumatique. Ils ont peur des médicaments, des hôpitaux, des douleurs. Ils se réveillent en sursaut, pensant que leur peau va encore se détacher.
Comment éviter ça ? La prévention est possible
La bonne nouvelle, c’est que ces réactions sont évitables. Si vous prenez un médicament à haut risque - carbamazépine, allopurinol, lamotrigine, sulfamides - et que vous êtes d’origine asiatique, demandez un test HLA avant de commencer le traitement. En France, ce n’est pas encore systématique, mais certains centres hospitaliers le proposent déjà. C’est une simple prise de sang. Et ça peut vous sauver la vie.
Si vous avez déjà eu une réaction cutanée grave à un médicament, gardez une liste écrite de tous les médicaments à éviter. Montrez-la à chaque médecin, même en urgence. Ne laissez jamais quelqu’un vous prescrire un nouveau traitement sans vérifier cette liste. Et si vous développez une éruption cutanée avec fièvre et douleurs dans les yeux ou la bouche après avoir pris un nouveau médicament - ne prenez pas un antihistaminique. Allez directement aux urgences. Dites clairement : « Je pense à un syndrome de Stevens-Johnson. »
Les recherches continuent. Des essais cliniques sur des inhibiteurs de la granulysine - une protéine qui détruit les cellules de la peau dans cette maladie - devraient commencer en 2024. Mais pour l’instant, la meilleure arme reste la vigilance. Une prise de sang, un test génétique, une question posée au bon moment. Parfois, c’est tout ce qu’il faut pour éviter une tragédie.
Quelle est la différence entre le syndrome de Stevens-Johnson et la nécrolyse épidermique toxique ?
La différence repose sur la surface de peau détachée. Le syndrome de Stevens-Johnson (SJS) touche moins de 10 % de la surface corporelle. La nécrolyse épidermique toxique (TEN) affecte plus de 30 %. Entre les deux, on parle de forme de chevauchement (10 à 30 %). La TEN est plus grave, avec un taux de mortalité deux fois plus élevé. Mais les deux sont des urgences médicales identiques en termes de prise en charge.
Quels médicaments sont les plus à risque ?
Les trois médicaments les plus souvent impliqués sont la carbamazépine (anticonvulsivant), l’allopurinol (pour la goutte) et les sulfamides (antibiotiques comme le triméthoprime-sulfaméthoxazole). D’autres incluent la lamotrigine, la phénytoïne, certains anti-inflammatoires et le névirapine. Il n’y a pas de médicament « sûr » à 100 %, mais ces-là ont un risque bien documenté.
Pourquoi certains gens sont-ils plus à risque que d’autres ?
C’est lié à la génétique. Des variants du gène HLA, comme HLA-B*15:02 ou HLA-B*58:01, rendent certaines personnes extrêmement sensibles à des médicaments spécifiques. Par exemple, les personnes d’origine asiatique avec HLA-B*15:02 ont un risque multiplié par 1 000 de développer une réaction à la carbamazépine. Ce n’est pas une question de dose ou de durée, mais de prédisposition génétique.
Est-ce que je peux faire un test pour savoir si je suis à risque ?
Oui. Un simple test sanguin peut détecter les variants HLA à risque. Il est recommandé avant de commencer la carbamazépine chez les personnes d’ascendance asiatique, ou avant de prendre l’allopurinol si vous avez déjà eu une éruption cutanée. En France, ce test n’est pas encore obligatoire, mais il est disponible dans les hôpitaux spécialisés et de plus en plus prescrit.
Quels sont les risques à long terme après une survie ?
Plus de la moitié des survivants ont des séquelles permanentes. Les problèmes oculaires sont les plus fréquents : sécheresse oculaire, cicatrices cornéennes, perte de vision. La peau peut rester pigmentée ou cicatrisée de manière anormale. Les ongles peuvent se déformer. Chez les femmes, des adhérences vaginales peuvent nécessiter une chirurgie. Environ 40 % développent un trouble de stress post-traumatique. Le suivi médical à long terme est essentiel.

Commentaires (2)
Mathieu Le Du
novembre 23, 2025 AT 19:26Ok mais franchement, qui a décidé qu’on allait faire un test génétique avant de prescrire un anti-inflammatoire ? C’est pas un peu comme vérifier si t’as les yeux bleus avant de prendre un paracétamol ?
On va bientôt avoir un panel ADN pour chaque médicament, et après on va dire que la vie c’est trop compliqué.
Je suis désolé, mais ça ressemble de plus en plus à de la médecine de science-fiction.
Alain Millot
novembre 23, 2025 AT 22:24Il convient de souligner, avec une rigueur scientifique inébranlable, que la nécrolyse épidermique toxique constitue une entité nosologique distincte du syndrome de Stevens-Johnson, nonobstant les critères de sévérité topographique. L’omission de cette distinction fondamentale dans la littérature contemporaine relève d’une simplification dangereuse, susceptible de compromettre la précision diagnostique et la cohérence thérapeutique.
La littérature anglo-saxonne, notamment les travaux de Ashkenazi et al. (2021), insiste sur la nécessité d’une classification hiérarchique fondée sur des critères histologiques stricts, et non sur des seuils de surface corporelle arbitraires.