Vous avez déjà entendu quelqu’un dire « je prends mon thyroïde » sans préciser lequel ? Ou vu un pharmacien hésiter entre deux flacons presque identiques ? Ces moments, apparemment bénins, peuvent être mortels. Chaque année, des milliers d’erreurs médicamenteuses sont causées par des noms qui se ressemblent trop - visuellement ou sonorement. Ce n’est pas une erreur de lecture, c’est un défaut de conception. Et ça arrive partout : à l’hôpital, en pharmacie, même à la maison.
Qu’est-ce que les noms LASA ?
LASA signifie Look-Alike, Sound-Alike - c’est-à-dire « qui se ressemblent visuellement » et « qui se prononcent de la même façon ». Ce n’est pas une coïncidence. Des médicaments comme hydromorphone et hydrocodone, ou doxorubicine et daunorubicine, ont été conçus avec des noms presque identiques. Un simple changement de lettre, une syllabe déplacée, et voilà un patient qui reçoit dix fois la dose qu’il devrait. Ou pire : un médicament totalement inadapté.
Les erreurs ne viennent pas seulement des noms. Les emballages, les couleurs, la forme des comprimés - tout peut jouer. Une étude menée en 2022 dans des hôpitaux américains a montré que 64 % des erreurs de confusion venaient des noms, 25 % des emballages, et 11 % de l’apparence physique des médicaments. Même une différence de dose - comme simvastatine 10 mg contre simvastatine 20 mg - peut causer une erreur si les flacons sont mal étiquetés.
Pourquoi ça arrive encore ?
On pourrait penser que les systèmes informatiques ont résolu le problème. Pas vraiment. Les ordinateurs affichent les noms en lettres minuscules, sans distinction. Un médecin dit « hydromorphone » à voix haute pendant un service de nuit chargé. L’infirmière entend « hydrocodone ». Elle prend le bon flacon - parce qu’il est à côté de l’autre. Et elle administre.
Les professionnels ne sont pas en faute. C’est le système qui est mal conçu. Les laboratoires pharmaceutiques choisissent des noms pour qu’ils sonnent « scientifiques », pas pour qu’ils soient faciles à distinguer. La FDA a refusé 34 noms de médicaments en 2022 uniquement parce qu’ils ressemblaient trop à des médicaments déjà sur le marché. Mais pour les médicaments existants ? Rien n’est changé. Les noms restent, les erreurs aussi.
Les médicaments les plus dangereux
Certaines paires sont particulièrement mortelles. Ce ne sont pas des médicaments de routine. Ce sont des produits à haut risque : insuline, anticoagulants, chimiothérapies, bloqueurs neuromusculaires. Voici quelques exemples réels :
- Levothyroxine et Synthroid - deux traitements de la thyroïde, souvent confondus, même si l’un est générique et l’autre de marque.
- Vecuronium et Versed - l’un est un relaxant musculaire, l’autre un sédatif. Confondus en réanimation, cela peut arrêter la respiration.
- Naltrexone et Naloxone - l’un traite la dépendance, l’autre sauve des surdoses. Un simple échange peut empêcher une réanimation d’urgence.
- Melphalan et Meloxicam - l’un est un chimiothérapeutique, l’autre un anti-inflammatoire. Une erreur ici peut tuer un patient atteint d’un cancer.
Entre 2018 et 2022, la FDA a recensé 128 décès directement liés à ces confusions. Ce ne sont pas des statistiques lointaines. Ce sont des vies perdues parce que deux noms étaient trop proches.
Les solutions existent - mais elles sont mal appliquées
Il y a des outils pour lutter contre ça. Le plus connu : le tall man lettering. C’est cette méthode qui met en majuscules certaines lettres pour distinguer les noms. Par exemple : HYDROmorphone et hYDROcodone. Ça aide… mais seulement si tout le monde sait pourquoi on l’utilise. Une étude a montré que dans certains hôpitaux, les infirmiers ne comprennent même pas ce que signifient ces majuscules. C’est comme un signal d’alerte qu’on a oublié d’expliquer.
Les systèmes informatiques peuvent faire mieux. Epic et Cerner, les deux principaux logiciels de dossiers médicaux électroniques, ont des alertes intégrées pour les noms LASA. Dans une étude de 12 hôpitaux, Epic a réduit les erreurs de 28,7 % en deux ans. Mais ce n’est pas partout. Dans les petits hôpitaux ou les cliniques privées, les alertes sont souvent désactivées, ou mal configurées. Parce que ça prend du temps. Parce que ça coûte de l’argent. Parce que personne n’a vraiment insisté.
Les pharmacies et les hôpitaux devraient avoir leur propre liste de médicaments à risque - pas celle d’un autre établissement. La Joint Commission le demande depuis 2006. Mais seulement 72 % des grands hôpitaux américains l’ont fait. Et dans les petits établissements ? À peine 38 %. En France, les données sont moins accessibles, mais les mêmes risques existent.
Que faire en pratique ?
Vous n’êtes pas médecin, mais vous prenez des médicaments. Voici ce que vous pouvez faire :
- Vérifiez toujours le nom complet - pas juste « la thyroïde » ou « l’anticoagulant ». Demandez le nom générique et le nom de marque.
- Regardez l’emballage - la couleur, la forme, la taille du comprimé. Si ça change d’un mois à l’autre, demandez pourquoi.
- Ne laissez pas les abréviations - « Heparin » ne doit jamais être écrit « HEP » ou « H ». C’est un piège mortel.
- Parlez clairement - quand vous demandez un médicament, dites-le lentement, lettre par lettre si nécessaire. « L-E-V-O-T-H-Y-R-O-X-I-N-E ».
- Signalez tout doute - même si vous pensez que vous vous trompez. Un moment d’hésitation peut sauver une vie.
Les professionnels de santé doivent aussi s’engager : des formations annuelles obligatoires, des listes locales mises à jour, des alertes sonores dans les systèmes informatiques. Et surtout : arrêter de penser que c’est « la faute de quelqu’un ». C’est une faille du système. Et les systèmes, on peut les améliorer.
Le futur : plus de sécurité, mais pas sans lutte
Des solutions innovantes arrivent. L’Agence américaine pour la recherche sur la qualité des soins (AHRQ) teste actuellement des systèmes d’intelligence artificielle qui écoutent les ordres verbaux en temps réel. Si un médecin dit « naltrexone » mais qu’il voulait dire « naloxone », le logiciel alerte immédiatement. Les premiers résultats montrent une précision de 89,3 %. C’est prometteur.
La FDA envisage désormais d’exiger que tous les nouveaux noms de médicaments passent un test informatisé de similarité - exactement comme dans l’étude de Lesar de 1999. Si un nom est trop proche d’un autre, il est rejeté. C’est une révolution. Mais ça ne s’appliquera pas aux médicaments déjà sur le marché.
Le problème, c’est que les noms LASA sont partout. Et tant que les laboratoires peuvent choisir des noms qui sonnent bien mais qui sont dangereux, les erreurs continueront. La solution ne vient pas seulement des hôpitaux. Elle vient des régulateurs. Elle vient des patients qui osent demander. Elle vient de chaque professionnel qui refuse de se contenter du « ça va comme ça ».
Le prix du silence
Une erreur de médicament, c’est rarement une histoire de négligence. C’est une histoire de système qui a ignoré les signaux. Des noms qui se ressemblent. Des emballages identiques. Des alertes désactivées. Des formations annuelles réduites à une présentation PowerPoint de dix minutes.
Il n’y a pas de solution magique. Mais il y a des solutions réelles. Et elles existent. Ce qu’il faut, c’est la volonté de les mettre en œuvre - partout, sans exception. Parce que derrière chaque nom de médicament, il y a une personne. Et elle ne devrait jamais avoir à parier sa vie sur la clarté d’un étiquetage.
Quels sont les médicaments les plus souvent confondus ?
Les paires les plus courantes incluent : hydromorphone / hydrocodone, levothyroxine / Synthroid, vecuronium / Versed, naltrexone / naloxone, doxorubicine / daunorubicine, et melphalan / meloxicam. Même des variations de dose comme simvastatine 10 mg et 20 mg peuvent causer des erreurs si les emballages sont similaires.
Le tall man lettering fonctionne-t-il vraiment ?
Oui, mais pas toujours. Le tall man lettering (majuscules dans les noms pour les distinguer) réduit les erreurs dans les environnements où les professionnels sont formés à son usage. Dans certains cas, il crée un effet placebo : les gens pensent que c’est suffisant, et négligent d’autres mesures. Il doit être combiné à des alertes électroniques et à une formation continue.
Pourquoi les laboratoires ne changent-ils pas les noms ?
Parce que changer un nom de médicament est coûteux, long, et complexe. Il faut réimprimer tous les emballages, modifier les systèmes informatiques, informer les professionnels, et parfois même renégocier les contrats avec les assurances. Les laboratoires préfèrent garder les noms existants, même s’ils sont dangereux, plutôt que de supporter ces coûts.
Les patients peuvent-ils vraiment aider à prévenir ces erreurs ?
Absolument. En demandant le nom complet du médicament, en vérifiant l’emballage, en refusant les abréviations, et en signalant toute confusion. Un patient qui pose des questions réduit de 40 % les risques d’erreur selon plusieurs études. Votre vigilance est une barrière de sécurité.
Existe-t-il une liste officielle des noms LASA en France ?
La France n’a pas encore de liste nationale officielle et centralisée, contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Certains hôpitaux ont leurs propres listes internes, souvent inspirées des recommandations de l’ISMP ou de l’OMS. Les professionnels doivent s’appuyer sur les alertes de leur système informatique et sur leur formation pour identifier les risques.
