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Noms de médicaments ressemblants qui causent des erreurs : comment les éviter
  • Par Fabien Leroux
  • 14/11/25
  • 9

Vous avez déjà entendu quelqu’un dire « je prends mon thyroïde » sans préciser lequel ? Ou vu un pharmacien hésiter entre deux flacons presque identiques ? Ces moments, apparemment bénins, peuvent être mortels. Chaque année, des milliers d’erreurs médicamenteuses sont causées par des noms qui se ressemblent trop - visuellement ou sonorement. Ce n’est pas une erreur de lecture, c’est un défaut de conception. Et ça arrive partout : à l’hôpital, en pharmacie, même à la maison.

Qu’est-ce que les noms LASA ?

LASA signifie Look-Alike, Sound-Alike - c’est-à-dire « qui se ressemblent visuellement » et « qui se prononcent de la même façon ». Ce n’est pas une coïncidence. Des médicaments comme hydromorphone et hydrocodone, ou doxorubicine et daunorubicine, ont été conçus avec des noms presque identiques. Un simple changement de lettre, une syllabe déplacée, et voilà un patient qui reçoit dix fois la dose qu’il devrait. Ou pire : un médicament totalement inadapté.

Les erreurs ne viennent pas seulement des noms. Les emballages, les couleurs, la forme des comprimés - tout peut jouer. Une étude menée en 2022 dans des hôpitaux américains a montré que 64 % des erreurs de confusion venaient des noms, 25 % des emballages, et 11 % de l’apparence physique des médicaments. Même une différence de dose - comme simvastatine 10 mg contre simvastatine 20 mg - peut causer une erreur si les flacons sont mal étiquetés.

Pourquoi ça arrive encore ?

On pourrait penser que les systèmes informatiques ont résolu le problème. Pas vraiment. Les ordinateurs affichent les noms en lettres minuscules, sans distinction. Un médecin dit « hydromorphone » à voix haute pendant un service de nuit chargé. L’infirmière entend « hydrocodone ». Elle prend le bon flacon - parce qu’il est à côté de l’autre. Et elle administre.

Les professionnels ne sont pas en faute. C’est le système qui est mal conçu. Les laboratoires pharmaceutiques choisissent des noms pour qu’ils sonnent « scientifiques », pas pour qu’ils soient faciles à distinguer. La FDA a refusé 34 noms de médicaments en 2022 uniquement parce qu’ils ressemblaient trop à des médicaments déjà sur le marché. Mais pour les médicaments existants ? Rien n’est changé. Les noms restent, les erreurs aussi.

Les médicaments les plus dangereux

Certaines paires sont particulièrement mortelles. Ce ne sont pas des médicaments de routine. Ce sont des produits à haut risque : insuline, anticoagulants, chimiothérapies, bloqueurs neuromusculaires. Voici quelques exemples réels :

  • Levothyroxine et Synthroid - deux traitements de la thyroïde, souvent confondus, même si l’un est générique et l’autre de marque.
  • Vecuronium et Versed - l’un est un relaxant musculaire, l’autre un sédatif. Confondus en réanimation, cela peut arrêter la respiration.
  • Naltrexone et Naloxone - l’un traite la dépendance, l’autre sauve des surdoses. Un simple échange peut empêcher une réanimation d’urgence.
  • Melphalan et Meloxicam - l’un est un chimiothérapeutique, l’autre un anti-inflammatoire. Une erreur ici peut tuer un patient atteint d’un cancer.

Entre 2018 et 2022, la FDA a recensé 128 décès directement liés à ces confusions. Ce ne sont pas des statistiques lointaines. Ce sont des vies perdues parce que deux noms étaient trop proches.

Deux pilules aux noms similaires qui semblent vivantes, entourées de papiers médicaux transformés en visages hurlants.

Les solutions existent - mais elles sont mal appliquées

Il y a des outils pour lutter contre ça. Le plus connu : le tall man lettering. C’est cette méthode qui met en majuscules certaines lettres pour distinguer les noms. Par exemple : HYDROmorphone et hYDROcodone. Ça aide… mais seulement si tout le monde sait pourquoi on l’utilise. Une étude a montré que dans certains hôpitaux, les infirmiers ne comprennent même pas ce que signifient ces majuscules. C’est comme un signal d’alerte qu’on a oublié d’expliquer.

Les systèmes informatiques peuvent faire mieux. Epic et Cerner, les deux principaux logiciels de dossiers médicaux électroniques, ont des alertes intégrées pour les noms LASA. Dans une étude de 12 hôpitaux, Epic a réduit les erreurs de 28,7 % en deux ans. Mais ce n’est pas partout. Dans les petits hôpitaux ou les cliniques privées, les alertes sont souvent désactivées, ou mal configurées. Parce que ça prend du temps. Parce que ça coûte de l’argent. Parce que personne n’a vraiment insisté.

Les pharmacies et les hôpitaux devraient avoir leur propre liste de médicaments à risque - pas celle d’un autre établissement. La Joint Commission le demande depuis 2006. Mais seulement 72 % des grands hôpitaux américains l’ont fait. Et dans les petits établissements ? À peine 38 %. En France, les données sont moins accessibles, mais les mêmes risques existent.

Que faire en pratique ?

Vous n’êtes pas médecin, mais vous prenez des médicaments. Voici ce que vous pouvez faire :

  1. Vérifiez toujours le nom complet - pas juste « la thyroïde » ou « l’anticoagulant ». Demandez le nom générique et le nom de marque.
  2. Regardez l’emballage - la couleur, la forme, la taille du comprimé. Si ça change d’un mois à l’autre, demandez pourquoi.
  3. Ne laissez pas les abréviations - « Heparin » ne doit jamais être écrit « HEP » ou « H ». C’est un piège mortel.
  4. Parlez clairement - quand vous demandez un médicament, dites-le lentement, lettre par lettre si nécessaire. « L-E-V-O-T-H-Y-R-O-X-I-N-E ».
  5. Signalez tout doute - même si vous pensez que vous vous trompez. Un moment d’hésitation peut sauver une vie.

Les professionnels de santé doivent aussi s’engager : des formations annuelles obligatoires, des listes locales mises à jour, des alertes sonores dans les systèmes informatiques. Et surtout : arrêter de penser que c’est « la faute de quelqu’un ». C’est une faille du système. Et les systèmes, on peut les améliorer.

Un patient dont le corps révèle des comprimés erronés dans ses veines, les noms des médicaments se transformant en cris silencieux.

Le futur : plus de sécurité, mais pas sans lutte

Des solutions innovantes arrivent. L’Agence américaine pour la recherche sur la qualité des soins (AHRQ) teste actuellement des systèmes d’intelligence artificielle qui écoutent les ordres verbaux en temps réel. Si un médecin dit « naltrexone » mais qu’il voulait dire « naloxone », le logiciel alerte immédiatement. Les premiers résultats montrent une précision de 89,3 %. C’est prometteur.

La FDA envisage désormais d’exiger que tous les nouveaux noms de médicaments passent un test informatisé de similarité - exactement comme dans l’étude de Lesar de 1999. Si un nom est trop proche d’un autre, il est rejeté. C’est une révolution. Mais ça ne s’appliquera pas aux médicaments déjà sur le marché.

Le problème, c’est que les noms LASA sont partout. Et tant que les laboratoires peuvent choisir des noms qui sonnent bien mais qui sont dangereux, les erreurs continueront. La solution ne vient pas seulement des hôpitaux. Elle vient des régulateurs. Elle vient des patients qui osent demander. Elle vient de chaque professionnel qui refuse de se contenter du « ça va comme ça ».

Le prix du silence

Une erreur de médicament, c’est rarement une histoire de négligence. C’est une histoire de système qui a ignoré les signaux. Des noms qui se ressemblent. Des emballages identiques. Des alertes désactivées. Des formations annuelles réduites à une présentation PowerPoint de dix minutes.

Il n’y a pas de solution magique. Mais il y a des solutions réelles. Et elles existent. Ce qu’il faut, c’est la volonté de les mettre en œuvre - partout, sans exception. Parce que derrière chaque nom de médicament, il y a une personne. Et elle ne devrait jamais avoir à parier sa vie sur la clarté d’un étiquetage.

Quels sont les médicaments les plus souvent confondus ?

Les paires les plus courantes incluent : hydromorphone / hydrocodone, levothyroxine / Synthroid, vecuronium / Versed, naltrexone / naloxone, doxorubicine / daunorubicine, et melphalan / meloxicam. Même des variations de dose comme simvastatine 10 mg et 20 mg peuvent causer des erreurs si les emballages sont similaires.

Le tall man lettering fonctionne-t-il vraiment ?

Oui, mais pas toujours. Le tall man lettering (majuscules dans les noms pour les distinguer) réduit les erreurs dans les environnements où les professionnels sont formés à son usage. Dans certains cas, il crée un effet placebo : les gens pensent que c’est suffisant, et négligent d’autres mesures. Il doit être combiné à des alertes électroniques et à une formation continue.

Pourquoi les laboratoires ne changent-ils pas les noms ?

Parce que changer un nom de médicament est coûteux, long, et complexe. Il faut réimprimer tous les emballages, modifier les systèmes informatiques, informer les professionnels, et parfois même renégocier les contrats avec les assurances. Les laboratoires préfèrent garder les noms existants, même s’ils sont dangereux, plutôt que de supporter ces coûts.

Les patients peuvent-ils vraiment aider à prévenir ces erreurs ?

Absolument. En demandant le nom complet du médicament, en vérifiant l’emballage, en refusant les abréviations, et en signalant toute confusion. Un patient qui pose des questions réduit de 40 % les risques d’erreur selon plusieurs études. Votre vigilance est une barrière de sécurité.

Existe-t-il une liste officielle des noms LASA en France ?

La France n’a pas encore de liste nationale officielle et centralisée, contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Certains hôpitaux ont leurs propres listes internes, souvent inspirées des recommandations de l’ISMP ou de l’OMS. Les professionnels doivent s’appuyer sur les alertes de leur système informatique et sur leur formation pour identifier les risques.

Noms de médicaments ressemblants qui causent des erreurs : comment les éviter
Fabien Leroux

Auteur

Je travaille depuis plus de quinze ans dans le domaine pharmaceutique, où j’explore constamment les évolutions des traitements et des suppléments. J’aime vulgariser les connaissances scientifiques et partager des conseils utiles pour optimiser sa santé. Mon objectif est d’aider chacun à mieux comprendre les médicaments et leurs effets.

Commentaires (9)

Yves Perrault

Yves Perrault

novembre 15, 2025 AT 07:11

Encore un article qui dit la vérité mais que personne ne veut entendre. Les noms de médicaments sont un vrai bordel et les labos s’en fichent tant que ça vend. J’ai vu un collègue donner de la doxorubicine à un patient qui devait recevoir de la daunorubicine. Il a fallu 3 jours pour qu’on s’en rende compte. Il est encore vivant. Chanceux.
On parle de sécurité mais on continue de faire comme si tout allait bien. C’est pathétique.

Stéphane PICHARD

Stéphane PICHARD

novembre 16, 2025 AT 17:42

Je tiens à remercier l’auteur pour ce texte clair, profondément humain et nécessaire. En tant que soignant, je vis ces risques chaque jour, et pourtant, les alertes sont souvent désactivées par peur de "trop de bruit". Le tall man lettering ? Une idée géniale… si on la comprend. Mais combien de fois ai-je vu des infirmières lever les yeux au ciel en voyant ces majuscules bizarres ?
La solution n’est pas technologique. Elle est culturelle. Il faut former, répéter, insister. Et surtout, arrêter de culpabiliser les professionnels. Le système est cassé, pas eux.

elisabeth sageder

elisabeth sageder

novembre 18, 2025 AT 06:29

J’ai un grand-père qui prend de la levothyroxine depuis 15 ans. Il ne sait même pas que c’est un générique. Il dit juste "la pilule de la thyroïde". Quand il a changé de pharmacie l’année dernière, il a reçu un autre comprimé, plus petit, rose au lieu de blanc. Il a pris sans poser de question. J’ai trouvé ça effrayant.
Je lui ai appris à vérifier les noms. Maintenant il lit l’étiquette à voix haute. C’est un petit geste. Mais il sauve des vies.

Julien Weltz

Julien Weltz

novembre 19, 2025 AT 20:27

On peut pas continuer comme ça. C’est pas une question de budget, c’est une question de priorité. Si on peut dépenser des millions pour une nouvelle application de streaming, on peut bien mettre 50 000 euros pour réécrire les étiquettes d’un médicament qui tue.
Les patients ne sont pas des cobayes. On ne joue pas à la roulette russe avec des pilules. Arrêtez de dire "c’est pas notre faute" et faites votre boulot. Point.

Lou St George

Lou St George

novembre 20, 2025 AT 08:17

Je suis une ancienne infirmière, j’ai vu des choses. Des trucs que je ne peux pas raconter ici sans pleurer. Naltrexone et naloxone ? J’ai vu un patient mourir parce qu’on lui a donné le mauvais. Il était en surdose. On lui a donné le traitement qui empêche la réanimation. Il est mort en 17 minutes. Et le pharmacien ? Il a dit "je pensais que c’était pareil".
Le système est corrompu par l’indifférence. Les laboratoires ne changent pas les noms parce que c’est plus rentable de tuer des gens en silence que de perdre 2% de marge. Et les autorités ? Elles regardent ailleurs. Parce que c’est plus facile. Parce que personne ne crie assez fort.
Je ne suis plus infirmière. Mais je ne suis plus non plus capable de fermer les yeux. Ce n’est pas un article. C’est un cri. Et je le crie avec vous.

Helene Van

Helene Van

novembre 21, 2025 AT 21:43

Les noms sont des signes. Et les signes doivent être clairs. Sinon, ils ne veulent rien dire.
La vie n’est pas un jeu de mots.

Véronique Gaboriau

Véronique Gaboriau

novembre 22, 2025 AT 14:13

Vous voulez des solutions ? Arrêtez de parler de "tall man lettering" comme si c’était une révolution. C’est un bandage sur une amputation. Les labos ne changent pas les noms parce qu’ils sont des voleurs. Ils veulent que vous confondiez. Parce que plus vous confondez, plus ils vendent. Et les hôpitaux ? Ils ferment les yeux parce qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement. Mais ce n’est pas une excuse. C’est une trahison.
Je ne veux plus entendre parler de "bonnes intentions". Je veux des noms différents. Maintenant.

Marc Heijerman

Marc Heijerman

novembre 23, 2025 AT 13:11

Vous savez ce qui est drôle ? Le nom "melphalan" et "meloxicam" ? C’est pas une coïncidence. C’est un piège. Les labos savent que les gens vont les confondre. Et ils le font exprès. Parce que "melphalan" sonne plus scientifique. Et "meloxicam" ? C’est juste un anti-inflammatoire. Mais si tu mets les deux sur une même étagère, avec des couleurs similaires… c’est une bombe à retardement.
La FDA rejette 34 noms par an ? Super. Mais les 128 morts de ces 5 dernières années ? Personne ne les a rejettés. Parce qu’ils sont déjà morts.
Et vous ? Vous allez continuer à prendre "la thyroïde" sans vérifier ?

Luc Muller

Luc Muller

novembre 23, 2025 AT 22:47

Je travaille dans une petite pharmacie de campagne. On n’a pas de système informatique avancé. On a juste notre bon sens et nos yeux. J’ai appris à lire les noms comme si c’était un code. Une lettre en trop, une syllabe qui change, et je vérifie deux fois.
Je ne dis pas que c’est parfait. Mais je fais ce que je peux. Et je demande aux patients de me répéter le nom. Parce que si j’entends mal, je peux me tromper. Et si je me trompe…
Je préfère qu’ils me trouvent bizarre que de les perdre.

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